Le temple d'Egine dédié à AΦΑΙΑ

22/04/2023

Née en Phénicie, la déesse Aphaia aurait pour nom d'origine "Oupis", une gorgone hyperboréenne, porteuse de torches, d'une hache, d'un arc et parfois d'un serpent dans chaque main. Elle serait donc protectrice de la chasse, semblable à Artémis. Jeune, elle voyage vers le peuple des Argonautes dans le Péloponnèse puis, vers l'île de Céphalonie où elle sera appelée Laphria. De là, elle navigue vers la Crète où elle prend le nom d'une nymphe des montagnes, issu de la langue minoenne : BritomarPis. Déesse de la lumière, les Grecs adaptent son nom en BritomarTis. "Britus" veut dire sucrée, doux et "Martis" : jeune fille

Le roi Minos, fasciné par sa beauté, va la poursuivre pendant 9 mois avant qu'elle ne jette d'un rocher pour lui échapper. Récupérée dans les filets de pêche du marin Andromedès, elle prend alors le nom de Dictynna ("Diktuon" veut dire filet). Transportée secrètement vers l'île d'Égine, elle disparait pourtant soudainement dans le bois sacré de la colline, invisible de tous, d'où son nom "Aphaea". Magie pour laquelle on lui consacre au sud d'Egine  le seul, rare et unique temple connu de tout le monde antique.

Son APPARENCE : D'origine phénicienne, elle apparait d'abord comme une Gorgone dangereuse, une hache à la main et des serpents dans l'autre. Plus tard en Crète, son aspect terrifiant est atténué par l'appellation Britomartis, la douce. Assise sur un rocher en habit de chasseresse, elle saisit un animal dans chaque main et devient maîtresse des animaux. Après son sauvetage dans le filet de pêche, Dictynna apparait avec une flèche dans la main et un enfant porté au bras gauche, elle devient protectrice des accouchements, comme Artémis. Enfin, à Égine, elle disparait dans l'ombre du bois sacré…

La LÉGENDE : Selon les Crétois, son arrière-grand-père serait Carmanor, le prêtre guérisseur d'Apollon, père d'Eubouleus, qui a engendré sa mère Carmé. Venue d'abord de Phénicie, Britomartis habite quelque temps à Argos auprès des filles Byzé, Mélité, Mura et Anchiroé. Voyageant vers Céphalonie, elle est adorée comme déesse des lumières. Puis, en Crète où Minos tombe amoureux d'elle et la poursuit pendant 9 mois, elle tente de lui échapper en sautant depuis une falaise en pleine mer. Le mont prend alors le nom de Dikté en sa mémoire. Récupérée dans les flots par les filets d'un marin, elle rejoint en barque Égine, mais tente de nouveau d'échapper aux avances de son sauveur. Sur la coline du sud de l'île surplombant la mer, elle se cache dans un buisson sacré et Artémis la rend invisible..

Egalement divinité de l'ancienne religion pélasgique crétoise, Aphaea est originellement une déesse lunaire présidant les eaux marines, adorée les pêcheurs et à laquelle on attribue l'invention des filets. Le culte à sa nature lunaire est surtout perpétué à Égine comme la déesse "qui disparaît" périodiquement, caractéristique des cycles nocturnes. C'est dans ce temple que les anciens célébraient autant les mystères d'Hécate que d'Aphaea. Une variante du mythe raconte qu'après consulté un oracle, Jupiter devait chasser son enfant porté par Hécate si c'était un fils, mais ce fut une fille, Britomartis. Dans cette version, elle ne se jette pas dans la mer, mais trébuche du mont Dickté à cause d'une branche de myrte. Les textes grecs n'assimilent Artémis et Diktynna qu'à une époque hellénistique tardive, ce qui suggère un culte phénicien bien plus ancien, celui d'Oupis.

Le TEMPLE : Sous le temple d'Aphée se trouvent les traces antérieures d'une installation crétoise. Le sanctuaire, installé au sommet d'une colline, accueillait un culte à une divinité féminine dès 1300 av. notre ère, apparemment une déesse archaïque révélée par des statuettes découvertes sur place. Il est connu qu'en Crète, des dévotions se déroulaient sans temple, dans des espaces naturels, des grottes, des sommets de montagne ou des bord de cours d'eau. 

Le récent temple bâtit au VIe av. J.-C, aurait abrité au centre du naos une statue d'Aphaïa chryséléphantine (d'or et d'ivoire). Les colonnes et les murs étaient enduits d'un stuc reflétant la lumière à base de poudre de marbre, tandis que le sol aurait été recouvert d'un enduit rouge. Les autres temples, dédiés à Britomartis et Dictynna, sont systématique situés en zone portuaire ou sur le littoral. On retrouve même ce culte à Marseille.

Le CULTE : Les rites religieux minoens se déroulaient  dans des sanctuaires à ciel ouvert, des espaces naturels plus propices à l'apparition de divinités, souvent une déesse matriarcale patronnant la montagne et les bêtes sauvages. Les femmes adressaient des vœux pour protéger les navires partis en mer ou pour recevoir un message dans leurs songes. On y réalisait des danses et déposait une corbeille de fruits, du miel et sûrement du vin, mais jamais de poissons. On ornait les fêtes de guirlandes ou de couronnes de pin et de pistachier lentisque, mais le myrte était absolument exclu. Bien qu'il soit garant d'une éternelle jeunesse s'il est planté par une femme, aucune main ne devait toucher le myrte, en mémoire du péplos de la jeune fille agrippé dans une branche de myrte responsable de sa chute.

Hymne de Callimaque - IIIe av. J.-C. : « La Nymphe qui te fut la plus chère, fut la nymphe Britomartis, archère infaillible. Pour elle, jadis, Minos parcourut les montagnes de Crète. Mais elle se cachait tantôt sous des chênes touffus, tantôt dans les prairies. Neuf mois il hanta monts et précipices, sans cesser sa poursuite, jusqu'au jour où, sur le point d'être prise, elle s'élança du haut d'un rocher dans les flots puis tomba dans les filets de pêcheurs. De là viennent son nom Dictyna et le mont Dictéen d'où elle s'était jetée. Ils lui ont alors dressé des autels et consacré des rites ».
Hymne de Carmé à Britomartis : « Et si seulement moins chère aux yeux de la rapide Artémis, tu n'eusses pas suivi les hommes à la chasse ou, qu'au lieu de darder les flèches crétoises sur l'arc parthe, tu eusses conduit les chevrettes du Dickté aux pâturages familiers. Jamais en fuyant avec tant d'obstination les amours de Minos, tu ne te fusses précipitée d'un sommet élevé d'où les uns rapportent que tu as fui et t'attribuent la puissance d'Aphéa, les autres appelèrent la Lune Dictynna de ton nom. C'est là, la vérité pour moi, mon enfant, tu es morte et jamais je ne te verrai plus voler au promontoire du Dickté parmi tes compagnons et un troupeau de fauves, ni ne te tiendrais dans mes bras à ton retour ».

HYPOTHESE : Il semble que le périple d'Oupis depuis la Phénicie parle du voyage de l'état d'enfant à jeune femme. En effet, malgré plusieurs noms, on peut lui reconnaitre successivement des qualités acquises lors de son périple. D'abord tenant des serpents et presque Gorgone, comme une énergie à canaliser, puis apprenant la vie en communauté à Argos, démontrant un caractère indépendant à Céphalonie, comme la prêtresse sacrée Laphria. Enfin, nommée Britomarpis de son passage crétois, donnant une indication de sucrée, douce jeune fille attirant le cœur de Minos. 

On le sait, la plupart des initiées de l'antiquité, si tant est qu'elles furent prêtresses d'Hécate ou servantes d'Artémis, sont intouchables car dédiées parfois 30 ans au service des temples. On lui reconnait d'ailleurs un lien avec le cycle lunaire. Pourchassée, elle est sauvée par le filet de pêche dont elle serait l'inventrice, dont les croisements et les nœuds pourraient symboliser un réseau géomagnétique (comme on le remarque également gravé sur l'Omphalos de Delphes). Réfugiée à Égine, elle prend l'intitulé Dictynna, "celle qui tisse les filets". 

Pour l'une des versions, après 9 mois de fuite, on la retrouve avec un nourrisson dans ses bras… Étrangement, à ce moment, elle se dissimule dans un bois sacré d'Égine, au lieu même où se déroulera son plus grand culte, comme divinité lunaire. Dans les mythologies, nombreux sont les bois sacrés entourant une colline hautement sacrée. C'est donc ici que la jeune fille sauvée par un oracle, devient une invisible "jeune femme" et même mère.... Cela représenterait l'évoluion de l'enfant, à la jeune fille, puis en tant que jeune femme enceinte (liquide amniotique, les eaux et cycles lunaires) pendant 9 mois  (la poursuite de Minos), elle quitte un état de parturiente pour prendre le statut de mère, au regret de sa mère Carmé qui voit son enfant grandir; 

On pourrait aussi supposer qu'un culte à mystères minoen autour du féminin, des eaux, des cycles lunaires, souvent symbolisés par la mer et les poissons, a pu être réinterprété, voire effacé. Les mythes grecs, pour certains inspirés de Mésopotamie ou de Phénicie, réadaptent des mythes anciens à une époque qui ne se passe pas de légendes mais les transforme…. La représentation d'Oupis jeune est celle d'une gorgone, puis elle est initiée aux mystères du féminin pour apparaitre et disparaitre à son gré soit en mère, soit en déesse des lumières et chasseresse.