De la neige utilisée par les Etrusques !

06/10/2024

L'usage de neige dans les banquets Étrusques (Ve-IVe siècle av. J.-C.)

Elodie PECHARD, Extrait de recherche indépendante : « L'eau et le corps des vivants, défunts et divinités étrusques au quotidien et dans les rites sacrés au Ve siècle av. notre ère », Août 2024.

Note : Les datations sont entendues comme antérieures à la période chrétienne, sauf mention contraire.

Image psykter VIe s. av. J.-C., apparenté au peintre d'Antiménès, créé à Athènes, découvert en Italie centrale (Cp 1065 ; F 321) © 2003 GrandPalaisRmn (musée du Louvre) / Hervé Lewandowski

Connaissances sur les récipients utilisés pour la neige

Bien que sur le relief de Chiusi, un large bassin situé sous le lit de banquet ne permet pas de conclure à une signification, la disposition du vase illustré en son centre pourrait évoquer un psykter. L'usage de neige ou de glace rafraichissant le vin des banquets funéraires, ou non, est bien évoqué dans quelques témoignages antiques. Des textes latins et grecs suggèrent une utilisation d'eau glacée par les Étrusques, mais les circonstances ou les ustensiles ne sont pas précisés. Selon G. Falco, les sources textuelles évoquent que des amphores à deux compartiments contenant d'un côté un liquide, de l'autre de la neige réfrigérante[1].

> Vaisselle à boire. 1 satyre barbu verse le vin d'1 oenochoé dans la bouche de celui qui tombé en arrière avec 1 canthare porté en équilibre sur le sexe. 1 autre lève 1 canthare au-dessus de sa tête. Sur la gauche : 1 satyre semble plonger le pied dans 1 canthare. Derrière : 1 satyre semble plonger la tête dans 1 canthare. 1 autre abaisse sa bouche vers une kylix posée au sol.

Le récipient au pied élevé et à la panse sphérique aplatie fermée par un couvercle (Fig.1) pouvait contenir de la neige pour être plongé dans un cratère contenant du vin. La neige aurait été préalablement stockée dans des fossés ou des cavités souterraines et couvertes de branchages ou de foin et plus tard par des briques.

Les sources textuelles sur la neige dans l'antiquité

1800 av. J.-C, Mésopotamie, Tablette XXIV de MariDes archives comportant les dépenses de denrées alimentaires et documentent la construction de glacières aux palais royaux de Mari, Terqa et Saggaratun avec la collecte de glace par des ouvriers spécialisés pour les maintenir au frais et servir les aliments frais au souverain.

430-355 av. J.-C, XÉNOPHONMémorables, Livre II-1.30 > Lors d'un symposium, des esclaves déposent la neige dans une coupe pour rafraichir le vin ou dans un puits rempli de neige.

459-377 av. J.-C, HIPPOCRATETraité des airs, des eaux et des lieux > Introduction : Les eaux de neige et de glace ont été proscrites par les médecins, car une fois entièrement glacée, l'eau ne revient plus à son ancienne nature, toute la partie limpide, légère et douce a disparu et donc très mauvaises pour tous les usages.

IVe siècle av. J.-C., CHARÈS DE MYTILÈNEHistoire d'Alexandre > Lors du siège de Pétra, Alexandre fait creuser trente fosses pour les remplir de neige, couvertes de branches de chêne pour conserver la glace plus longtemps.

-4-65 apr. J.-C., SÉNÈQUEQuestions naturelles, Livre IV > - Étudie comment se forme et se conserve la neige, car, non content de transvaser des vins centenaires et de les classer selon leur saveur et leur âge, on a trouvé moyen de comprimer la neige, de lui faire défier l'été, de la défendre contre les ardeurs de la saison par le froid des glacières.

- On la délaye dans l'eau qu'on y verse à plusieurs reprises. On ne prend pas le dessus des glacières, mais des morceaux du fond. Elle n'est pas toujours au même prix. […] Qu'auraient ils fait, s'ils avaient vu ces provisions de neige en magasins et tant de bêtes occupées à transporter cette eau, dont la teinte et la saveur se dénaturent dans la paille qui la conserve.

- Des champignons brûlants, trempés à la hâte dans leur sauce, sont engloutis fumants encore, pour être à l'instant refroidis par des boissons saturées de neige. Oui, tu verras les hommes les plus frêles […] non seulement boire, mais manger la neige et la faire tomber par morceaux dans leurs coupes, de peur qu'entre chaque rasade leur vin ne tiédisse.

23-79 apr. J.-C, PLINE L'ANCIENHistoire Naturelle, Livre 31, 23.2 > Il fallait de grandes quantités de glaces et un système de conservation des glaces. Selon la « voluptas frigoris », l'eau bouillie, stérilisée est placée dans un vase en verre logé dans la neige pour geler l'eau apte à se mélanger au vin ou être ingérée pour ses effets thérapeutiques, sans l'insalubrité de la neige pure.

« Quelques-uns boivent de la neige et d'autres de la glace et transforment ainsi les méfaits de la montagne en plaisir de la table ».

40-102 apr. J.-C, MARTIALÉpigrammes, Livre VIII > « Le front ceint d'une couronne de roses savoure à ton aise un vin rafraîchi par la glace ».

« À toi ce pot de terre rouge à l'anse recourbée : c'est dans un pot semblable que Fronton buvait son eau glacée ».

« Tu ne bois d'autre vin que celui de Spolète ou des Marses : à quoi bon alors le luxe de cette eau glacée après qu'elle a bouilli ? ».

« Boire, non pas de la neige, mais de l'eau que la neige a glacé, c'est une invention de notre soif ingénieuse ».

« Tandis qu'un pain noir est l'aliment de tes convives, pour elle, coule le vin de Setia, chaud à brûler la neige. Et nous, il nous faut boire le liquide trouble et empoisonné que le Corse verse dans ses tonneaux ».

- Des passoires auraient été utilisées pour filtrer et saupoudrer la neige dans les vins les plus onéreux, alors que les vins de moindre qualité auraient reçu l'eau gelée par filtration dans un sac en lin. « Dompte dans notre neige le feu de tes vins de Sétie. Quant aux vins inférieurs, des passoires de lin te suffiront ». « Le lin sait clarifier la neige, l'eau ne sort pas plus froide de ta passoire ».

- Sur le prix de la neige : « Esclave, ne mêle point à l'eau de neige les vins enfumés de Marseille : car l'eau te coûterait plus cher que le vin ».

54-68 apr. J.-C, PÉTRONESatyricon, Chapitre 31 > « Le jeune esclave, empressé, approche de la joué endommagée un vase d'eau glacée. »

« Des esclaves égyptiens nous versent sur les mains de l'eau de neige, d'autres suivent qui nous lave les pieds »

La neige et la glace étaient utilisées pour des « frigidaires », des bains d'eau froide et le lavage des mains avant de manger.

61-114 apr. J.-C, PLINE LE JEUNE, Livre I, Lettre 15, L'association de vin et de neige comme une « boisson froide » soulage le corps appesanti de chaleur et étancher la soif, mais rafraichi aussi les plats, les huitres, le lait frais, la viande couverte de foin ou s'intègre dans un « alica cum mulso et nive », gâteau d'épeautre avec du vin miellé et de la neige.

70-140 apr. J.-C, SUÉTONEVie de Néron, Livre 27-2 > « On prenait des bains chauds en hiver et des bains de neige en été ».

« Néron se faisait faire souvent des bains complets d'eau à la neige ».

170-223 apr. J.-C, ATHÉNÉE DE NAUCRATISDeipnosophistes, Livre III-124, Banquet des savants, Livre III-35 > Alexandre le Grand (356-323 av. J.-C) a fait creuser 30 trous, remplis de neige et protégés par des branches pour rafraîchir les boissons et conserver les aliments. En été, on descend dans des fosses réfrigérantes des urnes d'eau chaude qui, lorsqu'on les en retire, sont aussi froides que la neige.

Selon le musée archéologique de Florence, les Étrusques se servaient de psyktères en été pour refroidir le vin ou bien mélangeaient directement de la glace au vin. Le récipient était conçu pour flotter à l'intérieur d'un cratère. Soit il contenait le vin et flottait dans un récipient rempli de neige ou de glace, soit l'inverse[2]. Toutefois, si la neige était un produit de luxe plus cher que le meilleur des vins, il est peut-être plus juste d'imaginer un cratère rempli de vin refroidi par une petite quantité compacte de glace. Cette pratique, sûrement utilisée par des élites locales, nécessitait probablement une manutention délicate, un accès à des lieux gelés et des contenants permettant d'acheminer et de conserver la glace.

Un climat propice à l'utilisation de neige

On sait qu'à l'époque préromaine, un petit âge glaciaire aurait duré du IXe au IVe siècle avec un climat plutôt froid. Des auteurs romains témoignent d'hivers terribles, comme Columelle ou Juvénal qui parlent d'hivers si rudes au IVe siècle que le Tibre était incrusté de glace. Les bois du Latium et de l'Étrurie auraient été constamment couverts de neige et, l'hiver 399 av. J.-C serait resté mémorable dans l'histoire de Rome pour ses incessantes chutes de neige, plus de 2m d'amoncellement causant des blessés et l'effondrement de toits. Ce n'est qu'au IIe siècle et jusque 400 apr. J.-C que les températures augmentent jusqu'à l'optimum climatique romain[3]. L'utilisation de neige lors de banquets en Étrurie semble plutôt réaliste.


[1] Falco G., 2022, p. 525-534.

[2] Musée archéologique de Florence, 2018, en ligne : https://museoarcheologiconazionaledifirenze.wordpress.com/2018/08/01/mesci-mescolando-una-misura-dacqua-e-due-di-vino/

[3] Motta A., 2020,en ligne : www.guadoalmelo.it/cambiamenti-climatici-leggi-e-vendemmie-gli-ultimi-passi-nelle-vigne-italiane-al-tempo-dei-romani/